Nous sommes au mitan de l’après-midi. Le ciel est maussade mais, par chance, il fait sec. Vous vous êtes posé sur le gazon de la butte du Rodelberg. A vos côtés, un couple de sexagénaires assis sur un plaid débouche une bouteille de rosé. Plus bas, un autre s’affaire autour d’un enfant agité. Un sextet que vous ne connaissez pas vraiment prend possession de la scène. Il est emmené par le saxophoniste Jan Klare. A ses côtés, on note la présence de la violoncelliste Emily Wittbrodt qui, la veille, assurait au même endroit la Café Oto session au sein d’une autre formule. Des compositions portées haut, rusées qui s’accommodent très bien à l’atmosphère particulière de ce moment alenti de la journée.
Le concert à peine terminé, il vous faut rejoindre la cour intérieure de l’Annex pour aller tendre l’oreille à une jam improvisée autour de deux batteurs (Jason Nazary et Daniel Schröteler). C’est furieux et déclassifié ! Pas le temps de s’attarder, Zeena Parkins est annoncée dans la salle couverte et les sets débutent à l’heure. Le reste s’enchaîne à une cadence soutenue. A Moers, pas de temps mort, pas de répit. De la soirée, vous gardez en mémoire un tas de sonorités et d’images. Ainsi, la stupéfiante prestation dans le cadre dépouillé de l’église St Josef de Naoko Kikuchi qui joue de cet étonnant instrument traditionnel japonais qu’est le koto et de Taiko Saito aux marimbas. L’émouvante complicité entre le tromboniste Conny Bauer (un ancien du Moers) et la pianiste Rieko Okuda. Celle plus technique entre Burnt Friedman et le batteur João Pais Filipe. Le ballet charnel et sauvage du combo franco-italo-sénégalais Ndox Electrique. Les pirouettes digitales facétieuses de Blipvert aux côtés de la saxophoniste Virginia Genta. Beaucoup d’autres moments forts, impossibles à lister dans ce modeste compte-rendu. Le clou de la soirée étant sans doute l’incroyable prestation de la formation japonaise Goat dont la précision rythmique et calibrée est à elle seule un exercice de style.
Ndox Électrique © Nils Brinkmeier
Cette année à Moers ce n’est pas seulement le Japon qui est mis à l’honneur, il y a aussi la Namibie. Une petite exposition au titre évocateur « Stolen Moments, Namibian Music History Untold » se tient dans le hall de l’école de musique. Plus tard dans la journée, une rencontre/discussion avec la chanteuse/guitariste Shishani d’origine namibienne est proposée. Il est question e.a. du colonialisme culturel… Le Moers ne se résume pas un défilé de concerts, le festival s’interroge, nous interroge, car la musique s’inscrit également dans une dimension sociale, économique et politique.
Du dimanche, vous retiendrez l’insolite Captain Niederrhein, un concert conviant de jeunes élèves issus de l’académie locale épaulés par des adultes pour le moins attentifs… A épingler également, le Danny Fox Trio dont c’était la première apparition en Europe. « Brözzfrau », un hommage vivifiant et tonitruant à Peter Brötzmann décédé il y a un an, réunissant les saxophonistes Alexey Kruglov et Masayo Koketsu, le trompettiste Bart Maris, Conny Bauer, Caspar (le fils) Brötzmann à la guitare et quelques autres encore. Plus tard dans la nuit, vous succombez à Jambinai, combo post-rock/post-folk, sorte de pendant coréen à Explosions in the Sky. Vous reprenez une dernière bière avec Koshiro Hino, achevant de faire danser le public à deux heures du matin avec sa drôle de machine à pulsations.
Danny Fox Trio © Kurt Rade
Nous l’avons déjà écrit dans nos pages, Moers se situe à l’antipode des festivals formatés et surinvestis. Pour sa vénérable 53ème édition, il n’a toujours pas trouvé réponse à la question qu’il se pose et nous pose depuis des décennies : où commence, où s’arrête le jazz ? Mais Moers est-il seulement un festival de jazz ?
Eric Therer
Link: https://jazzmania.be/moers-festival-allemagne-17-au-20-05-24/ (Abgerufen am 06.07.2024 um 11:13)